Parker’s Box
193 grand Street
Brooklyn
NY 11211
USA

Briac Leprêtre réalise des aquarelles montrant des scènes banales. Il réalise aussi des sculptures qui se réfèrent aux volumes et formes de l’architecture. Ces pratiques paraissent au premier abord familières et un peu conventionnelles. Mais une confrontation plus approfondie avec le travail de l’artiste substitue rapidement à cette première impression une sensation légèrement troublante : ce qui est devant nous est à la fois exactement ce qu’il semble être mais aussi quelque chose d’autre. La notion de substitut souvent sollicitée dans la pratique de l’art contemporain est bien présente ici mais le travail de Briac Leprêtre va aussi au-delà, focalisant son attention et ses recherches autour de la question épineuse du lieu réel de l’art, ou peut être de son début et de sa fin.

Manipulant les idées sur le statut et la présence des œuvres d’art, Briac Leprêtre a quelque chose d’un acrobate, d’un funambule même. Il a une préférence pour l’exploration du quotidien avec pour objectif de le pousser discrètement dans des territoires inexplorés. En effet, la subtilité des transformations qu’il impose aux choses est telle qu’elles s’immiscent de manière presque insidieuse dans l’esprit des visiteurs les moins méfiants. Les autres spectateurs peuvent rester indifférents ou même trouver évident le travail et l’obsession méticuleuse de l’artiste. La difficulté de décider laquelle de ces réactions est l’exception qui confirme la règle témoigne de la corde-raide que Briac Leprêtre a délibérément choisi de s’engager, mais aussi de la nature insaisissable du contexte dans lequel il nous attire.

Dans Like it is , Briac Leprêtre présente une grande sculpture in situ qui semble être une partie essentielle de l’architecture de la galerie. Un groupe de petits objets moulés dans du béton, une série d’aquarelles encadrées et ce qui est techniquement de l’ordre de la peinture murale accompagnent cette sculpture.

Les aquarelles présentées ici montrent des scènes de rénovation intérieure ou de construction. Le sujet est une curiosité, le choix du raffinement esthétique de l’aquarelle pour représenter des vues d’intérieurs inachevés semblant presque une contradiction. L’existence de telles images fait songer à une application pratique pour laquelle la photographie serait mieux adaptée, et en effet Leprêtre utilise la photographie comme point de départ de ses représentations. Néanmoins, une fois que nous avons accepté l’excentricité du sujet, on ne peut que se rendre à l’évidence : ces vues de pièces, avec le noir et blanc des nouvelles plaques de plâtre et des bandes de joints, se prêtent parfaitement à la technique de l’aquarelle où le blanc du papier devient une source de lumière ou une surface réfléchissante. Il y a certainement une pointe d’ironie dans ce travail puisque ces aquarelles sont magnifiquement finies alors que le sujet est lui-même inachevé et reste encore à peindre ! En même temps, le médium peut d’une certaine façon élever le sujet, comme si l’artiste voulait nous confronter à ces murs fragmentaires que le plaquiste laisse au peintre en bâtiment et nous les présenter comme de potentiels ready-made créés par l’innocente agilité de l’artisan.

Avec la peinture murale, présentée dans l’exposition, Leprêtre pousse plus loin encore cette réflexion. Il a peint en trompe l’œil un mur de placoplâtre, avec l’enduit de joints en bandeaux, prêt à être peint. Il est facile de voir cet œuvre comme un jeu de renversement des apparences puisqu’un mur parfaitement blanc a effectivement été « dévalué » pour ressembler à un mur inachevé prêt à être peint : il a bel et bien été peint par l’artiste avec la volonté de lui donner l’apparence d’un mur qui n’a pas encore été peint !

L’exposition est complétée par une série d’œuvres de plus petites dimensions, moulées dans du (vrai) béton et évoquant des éléments architecturaux ayant une fonction présumée, comme celle suggérée par la sculpture du pilier supportant le plafond de la galerie, mais que nous ne pouvons identifier. Ces objets posent alors une question similaire d’une manière différente. Le matériau dont ils sont faits n’est pas une illusion alors que l’idée qu’ils ont une fonction précise semble l’être. À la différence des autres œuvres de l’exposition, ils semblent avoir été laissés là comme des artefacts d’une activité extérieure, laissant penser qu’ils ne remplissent à présent plus la fonction pour laquelle ils ont été conçus. Comme tels, ils sont laissés au sol, restes de quelque chose d’autre, bien qu’ils soit impossible de déterminer ce qu’il leur manque. Avec ces pièces qui pourraient être considérées non sans ironie comme les œuvres les plus originales de l’artiste, Briac Leprêtre semble également proche de la pensée de Baudrillard qui, dans Simulacres et Simulation (1980), écrit : « la phase de simulation et l’agonie du système distinctif, une phase où toute chose devient un reste et un résidu ».

Mais Briac Leprêtre est finalement bien plus engagé dans les songes quotidiens d’un sculpteur que ne l’est Baudrillard ou que ne le laisserait supposer l’aboutissement des recherches de l’artiste. Pendant sa résidence à Parker’s Box, ses préoccupations quotidiennes étaient incontestablement portées sur les problèmes de la forme, du volume, des masses, du poids, de la composition, des matériaux et bien sûr de l’apparence, plutôt que sur le fin réglage de l’illusion et de la représentation réaliste – éléments qui, au contraire, semblent être la seconde nature de cet artiste. Car pour lui, ils sont l’immuable colonne vertébrale de toute démarche artistique.

Photo : E. Frossard