Production des œuvres 40mcube / La Box / Glassbox / CNAP / NKD

40mcube
48 avenue Sergent Maginot
35000 Rennes

Marielle Chabal crée des fictions qui se matérialisent dans des formes multiples. Si le texte en est la première concrétisation, la sculpture, le film, la photographie, le dessin en sont d’autres. L’exposition As Free As Ones Could Claim produite par 40mcube en est également une, regrou- pant des documents, des vêtements, des photographies, une maquette, une mosaïque et deux films retraçant l’histoire de la communauté utopique des Halmens et de la création de la cité d’Al Qamar en 2023.

Le point crucial de l’histoire Des Halmens à Al Qamar, chronique d’une émancipation, d’un crash et d’une gentrification collatérale le long des courbes du désert de Judée est un événement historique advenu en janvier 2023 : le Reset. Le groupe de hackeuses des Halmens pirate le système monétaire international en faisant sauter les centres de sauvegarde des données bancaires mondiales. Après une saturation du système capitaliste, cette attaque provoque une remise à l’état initial de l’économie dont naît un espoir de renouveau, permettant aux hackeuses de créer leur communauté, de repenser les fondements de la vie en société et le dessin des villes.

L’histoire de la création de la communauté d’Al Qamar peut se lire dans le numéro 4 de la revue justement nommée RESET!, consultable à l’entrée de l’exposition. On y trouve une série de textes de Chloé Helle, Dahia Johnson, Lupe Velez, Dan Zeller, Zoheir Zattan ou d’entretiens réalisés avec Soukaïna Ali Messiad, Fatoumata Bloomberg-Levallois, Armando Della Negra, Nelle Khristansten, Cédric Melville – personnages dont les noms aux consonances volontairement internationales sont inventés pour les besoins de l’histoire et derrière lesquels se cachent parfois des commissaires d’exposition – ainsi qu’avec les artistes que Marielle Chabal a invités à participer à cette aventure. Si cette revue n’existe pas – il n’y a pas de numéros 1, 2, ni 3, comme il n’y aura pas de numéro 5 – elle a réellement fait l’objet d’une publication par les écoles nationales d’art de Lyon et de Bourges en 2017. À travers ces entretiens particulièrement denses se dessinent les raisons de la fondation de cette communauté, de la création de leur ville et de leur implantation géographique. Le refus du capitalisme, d’une société patriarcale et d’un urbanisme autoritaire comme les revendications féministes en sont les moteurs, le communautarisme une conséquence.

Mais si les textes et entretiens publiés dans RESET! sont convaincants, la réflexion passionnante, les réactions exprimées vraisemblables et les choix cohérents, l’exposition As Free As Ones Could Claim prend une tournure plus distanciée et grinçante. Elle balaie un certain nombre d’espérances, laissant la place à une utopie que l’on pourrait qualifier de critique, le communautarisme engendrant l’exclusion et le repli. La relation à l’espace est symptomatique d’un monde global et local, l’histoire se déploie à l’échelle de la planète puis s’ancre à Jericho, berceau de l’humanité et lieu de conflits géopolitiques et religieux dramatiques.

Outre les relations entre la fiction et l’histoire internationale, Marielle Chabal crée de nombreux va-et-vient dans le temps, situant le début des Halmens fin 2019 et le récit que constitue cette exposition à 40mcube en 2028. Un regard omniscient qui nous dépasse et nous déplace, qui crée une projection critique sur notre avenir. Le travail de l’artiste se développe aussi dans son propre temps, crée des liens et des ramifications entre des formes distinctes produites au fur et à mesure des expositions et des résidences qu’elle réalise.

Marielle Chabal crée également des va-et-vient entre écrits et formes plastiques. En amont du texte, elle commande une série de sculptures à des artistes pour concevoir les bâtiments de la cité d’Al Qamar. Les sculptures/architectures de Leïla Villeneuve, Matthieu Clainchard, Mathis Collins, Jean-Alain Corre, Aurélie Ferruel & Florentine Guédon, Pierre Gaignard, Aïsha Keller, Nicolas Milhé, Vivien Roubaud, Eric Stephany, Constance Tenvik, Samuel Trenquier, Camille Tsvetoukhine, Lucille Uhlrich apparaissent dans une maquette de cette ville imaginaire et deviennent les personnages de l’un des films présentés. Film dont la musique a été commandée aux musiciens Lippie, Jeanne La Fonta, Jérôme Poret, Poomchak, Omerta, Louis Andrews, Jérémy Nicolas, Violette Lamarche, King Baxter, Godzilla Overkill. L’artiste met ainsi en œuvre dans son travail un principe de collaboration qui donne lieu à une communauté informelle.

Du texte, elle extrait des éléments, un film, une maquette, des images, qui apportent des éclairages sur l’histoire, voire qui la rendent vraisemblable. Rassemblées dans l’exposition As Free As Ones Could Claim, ces œuvres sont présentées selon des dispositifs muséaux classiques comme la reproduction d’une scène traditionnelle où une tente de bédouin devient l’espace confor- table du visionnage d’un film pouvant être considéré comme pédagogique et ludique ; l’emploi de mobilier comme une vitrine dans laquelle des costumes de la communauté sont exposés ; une reconstitution en maquette de l’avant et l’après du site d’Al Qamar ; et la présentation d’archives, ici les affiches des événements organisés par les Halmens. L’artiste s’attaque à la question complexe de l’exposition du texte et de la lisibilité de la narration. En compilant texte, objets et scénographie, elle parvient à nous plonger dans l’atmosphère et l’esthétique de l’histoire des Halmens à Al Qamar, dont on ne peut présager de l’issue, si celle-ci a lieu…

Anne Langlois

Merci à Matthieu Clainchard, François Piron, Théo Carrère, Salim Roma, Muhammad Wahbi, Mosaïc center of Jericho, El Atlal, Karim Kattan, Rebecca Topakian, Marie Quéau, Jonathan Chauveau, Éric Stephany, Nicolas Milhé, Constance Tenvik, Aisha Darenshi-Keller, Vivien Roubaud, Samuel Trenquier, Aurélie Ferruel & Florentine Guédon, Lucille Uhlrich, Pierre Gaignard, Jean-Alain Corre, Mathis Collins, Camille Tvétoukhine, Gwanaeël Morin, Zoé June Grant, Louis Andrews, Ugo Decorce Ballara, Patrice Blouin, Jérôme Poret, Laura Lippie, Jeanne LaFonta, Magalie Halter, Poom Chak, Godzilla Overkill, Florence Giroud pour OMERTA, Arnaud Fontaine, Guido Cesarsky pour Acid Arab, Mathilde Ganancia.